Le regard de Gilles Pudlowski sur le premier macaron

« J’ai des mémoires de macarons comme on a des souvenirs d’amour. J’ai longtemps rêvé de ces jolies constructions croustillantes colorées avec sobriété, douces au toucher, fondantes en issue, qui croquent en bouche comme des bonbons, s’évanouissent avec volupté, sitôt croquées, laissant ainsi une impression suave. Les macarons ? De l’amour en sucre. Du croquant, de la douceur, de l’amande. Qui fut le premier à l’imaginer ? » Pierre H. est habité d’une obsession fiévreuse, le macaron parfait. Suivons-le dans cette quête du chef-d’oeuvre pâtissier…

Gilles Pudlowski, journaliste, écrivain, critique littéraire et critique gastronomique, né en 1950, a publié une cinquantaine d’ouvrages. Il est l’auteur du célèbre guide Le Pudlo (Michel Lafon). Il a reçu le prix La Mazille pour l’ensemble de son oeuvre, le prix Amunatégui-Curnonsky et le Prix des écrivains gastronomes. Son récit L’amour du pays a reçu le Maurice Genevoix et le prix Jacques Chardonne. On peut le suivre chaque jour sur son blog « Les pieds dans le plat » (www.gillespudlowski.com), qui a obtenu, aux Gastronomades 2015, le prix de la Gastronomie Numérique. Il est également l’auteur du Devoir de Français (J’ai Lu).

Office : 19 octobre 2016
Prix : 12 € Format : 130 x 185 mm
Pagination : 104 pages
Reliure : Broché – Rabats – Bandeau calque impression sérigraphique
Collection : INCIPIT
EAN : 9782368460184

  • POINTS FORTS
    – Un principe de collection inédit
    – Une identité graphique forte :
    Une illustration inédite de MARION CLUZEL en couverture
    + des finitions originales (bandeau calque)

 

Extrait…

Prologue Il était une fois Il était une fois, à Damas, en Syrie, un sultan très gros, très replet, très gourmand, qui s’ennuyait dans son palais de marbre et n’en finissait pas de harceler son cuisinier Sali pour qu’il lui prépare de nouveaux délices, pour qu’il lui invente de nouvelles pâtisseries. Il y avait les écoeurants loukoums, les pistaches sucrées, les baklavas – ces feuilletés dégoulinant de miel-, les bourek au fromage qu’il arrosait d’un jus de grenade, les cornes de gazelle ou la douce halva à base de pâte de sésame. Le sultan Bayezid II le juste, fils de Mehmet II, dit le conquérant, que les Français nommaient Bajazet, régnait sur un immense empire entre Trébizonde, Constantinople, les Balkans, la Palestine et la Mésopotamie. Le sucré, c’était son péché mignon. Un jour, son cuisinier, Sali Ben Mechal, qui était aussi orfèvre en pâtisseries et autres délices soyeux, vint le trouver avec une douceur à base d’amandes. « Votre majesté, cela s’appelle un louzieh », lui dit-il en lui montrant sur un plateau d’argent une de ses friandises friables, à base d’amandes, de sucre, de miel et de blancs d’oeuf. « Un louzieh, l’interrogea son maître, « mais pourquoi donc ? ». « C’est un mystère », lui aurait répondu le cuisinier, assurant à son maître que la dite recette daterait de siècles et de siècles en arrière, autant dire de la dynastie des Omeyyades, qui régnait sur l’empire byzantin, bien avant l’an mil. Lui précisant que louzieh voudrait dire « loué soit dieu ! » en araméen. Et lui rappelant, plus simplement, que « laouz » signifiait amandes en arabe et que le dit gâteau, minuscule, délicieux, si craquant, si friable, aurait été conçu comme une offrande à la fois à Dieu, comme au sultan, son prophète. Et qu’il serait, ainsi, parvenu parmi nous. Le sultan Bayezid lui aurait alors commandé une tonne de louziehs, dans le but de s’en gaver et d’en régaler sa cour, en rentrant à Constantinople. Et aurait décoré son cuisinier Sali grand commandeur de l’ordre des croyants. 1. Mémoires de macarons Rien de tout cela ne tient debout, me dis-je. Je rêve de macarons, je dors en macaron, je vis comme un macaron. J’ai des mémoires de macarons comme on a des souvenirs d’amour. J’ai longtemps rêvé de ces jolies constructions croustillantes colorées avec sobriété, douces au toucher, fondantes en issue, qui croquent en bouche comme des bonbons, s’évanouissent avec volupté, sitôt croquées, laissant ainsi une impression suave. Les macarons ? De l’amour en sucre. Du croquant, de la douceur, de l’amande. Qui fut le premier à l’imaginer ? Je me suis documenté avec patience. J’ai appris qu’il en existait en Syrie, dès le XVe siècle, et qu’il fut la gourmandise préférée d’un calife ottoman ou d’un sultan régnant sur un vaste empire, qui se régalait de ses « louzieh ».

J’ai su encore qu’on en fabriquait en Italie dès 1533 et qu’il fut apporté comme tel par Catherine de Medicis, mère du roi de France, en tant que maccarone. Elle en fit servir, en 1581, d’exquis, confectionnés avec des amandes amères (« mandorle »), venues du Piémont aux noces du Duc Anne de Joyeuse, mignon du roi Henri III qui épouse Marguerite de Vaudémont, la belle-soeur du roi. Les noces somptueuses furent les plus coûteuses du royaume. Ses maccarone que l’on nomme aujourd’hui amaretti, autrement «amers», connurent un succès tel que le Duc de Joyeuse les fit reproduire dans son bourg d’origine de Joyeuse en Ardèche, où ils se développèrent d’une échoppe sucrée à l’autre. D’ailleurs, la maison Charaix produit encore aujourd’hui ses jolis « macarons de Joyeuse ». J’apprends encore qu’en 1620, dans le noble village vigneron de Saint-Emilion, la recette fut reprise d’une communauté religieuse, avant d’être transmise à travers les âges. Recueillie après la Révolution par une dame inconnue mais qui la confia à une veuve Goudichaud, mère d’une Mme Grandet, elle a été précieusement conservée par ses enfants, qui l’ont transmise ensuite à une Mme Rémond, avant qu’une Mme André ne la revende, avec sa mince échoppe, aux Blanchez, en 1930. Le macaron : une histoire de femmes ! La seule détentrice de la « vraie » recette des soeurs ? Ce fut longtemps la douce Danièle Blanchez qui se contenta de faire comme les autres. Je vais la voir, un soir d’hiver pour tenter de percer le secret du moelleux de ses jolis macarons de Saint-Emilion, mariant ni plus ni moins que de l’amande broyée, douce et amère, du blanc d’oeuf (« avec des oeufs que nous cassons nous-mêmes ») et du sucre. Une dame sage, douce, modeste, me reçoit et m’explique. Surtout, elle m’ouvre ses labos Son secret ? Il est dans le dosage : celui d’une pâte homogène qui se délivre au moyen d’une poche à douille sur un « papier spécial » qui ne brûle pas au four. Le résultat ? Un macaron extrafin, issu de l’artisanat bien fait, certes, mais auquel il manque quelque chose… Mais quoi donc ? Pour essayer de le comprendre, je me rendis au pays basque à Saint-Jean-de-Luz, chez les Adam. Là, on me raconta qu’on les fabriquait ici depuis… 1660, soit quarante années après ceux de Saint-Emilion. Et là, la recette ressemble comme une soeur à celle de son cousin girondin. Un marmiton eut-il l’idée de la reprendre telle quelle, de la peaufiner ? Je n’étais pas là pour le constater, ni la goûter. La gourmandise, en tout cas, est la même : plate, fine, craquante, douce, docile, à base de sucre, d’oeufs et d’amandes. La circonstance de cette « recréation » ? Un mariage royal : celui de l’infante d’Espagne Marie-Thérèse avec Louis XIV, célébré dans le joli port thonier, presque frontalier, où depuis on a baptisé le bâtiment de leur rencontre « maison de l’infante »,

alors que la demeure de l’artisan Adam, qui, depuis, perpétue ce bel art, est devenue celle du macaron. Ce macaron-là, je l’aime bien, je le soupèse, avant de le croquer, et je trouve qu’il lui manque encore et toujours quelque chose. Mais quoi encore ? Peut-être du parfum, de la couleur, un je ne sais quoi de fantaisie et de magie qui lui donnerait de la vie. Ce qui devrait être sa vraie nature… Pas très loin de Colmar, mon berceau natal, je découvre un autre temple du macaron, dans un autre berceau de douceurs : à Nancy, dans cette ville si gourmande, qui fête la bergamote, ce bonbon translucide au citron de Sicile, le saint-epvre, que Gaston Lenôtre fera connaître aux Parisiens sous le nom de succès, et qui est une sorte de biscuit aux amandes, avec une crème au beurre praliné ou vanillé – ça j’adore !

Je n’oublie pas la madeleine, inventée non loin, à Commercy. Ni le baba au rhum qui était à l’origine un kougelhopf, mais que le duc de Lorraine, le gourmand Stanislas Lecszynski, originaire de Pologne baptisa baba (autrement dit « vieille femme » en polonais) et arrosait de sirop de safran et de rhum, en s’écriant : « c’est Ali Baba au rhum ! ». Et c’est cette dernière invention que son pâtissier, l’excellent Stohrer fera connaître, en l’emmenant à Paris, et en s’installant rue Montorgueil, raccourcissant le nom exotique d’Ali Baba qui prenait trop de place sur ses cartons en vitrine en « baba au rhum ». Mais je m’éloigne de mon macaron. Sinon de ma gourmandise. Près de la gare de Nancy, et non loin de la belle place Stanislas aux grilles d’or d’Héré, je découvre une « maison des soeurs macarons », dont la rue porte d’ailleurs le nom. Pourquoi les soeurs Macarons ? Mais simplement parce que la recette venait là aussi, comme à Saint-Emilion, d’un couvent de bonnes soeurs. L’histoire ? Celle de Catherine de Vaudémont, fille du duc Charles III et abbesse de Remiremont, – dont je crois qu’elle fut l’arrière-petite-nièce de l’épouse du duc de Joyeuse, comme quoi le monde du sucré n’est pas si grand – qui fonda la communauté bénédictine des Dames du Saint-Sacrement de Nancy. Comme elle ne pouvait manger de viande, elle se contentait de douceurs, affirmant ne supporter que la pâtisserie et le chocolat. De faux prétextes ? Je ne le saurai pas. Mais l’essentiel est qu’elle a provoqué une véritable ferveur autour d’elle. Et de son précieux macaron devenu un emblème.

C’est ainsi que deux de ses religieuses, Marguerite Gaillot et Marie-Elisabeth Morlot, ont l’idée de lui confectionner une friandise qui, non seulement régale leur noble supérieure si gourmande, mais aide la communauté à subvenir à ses besoins, lorsque le décret d’avril 1792, imaginé par la Grande Révolution de 1789, supprime les congrégations. Les « soeurs », c’est-à-dire les bénédictines nancéennes, trouvent refuge alors chez le docteur Gormand, le médecin de leur communauté, domicilié rue de la Hache – c’est elle qui deviendra, mais bien plus tard, la rue des Soeurs Macarons – et commercialisent leurs macarons. Leur recette ? Mais vous la connaissez déjà… C’est un savant mélange de blancs d’oeufs, sucre et d’amandes, avec une forme toujours plate et ronde et craquelée, avec une texture moelleuse. Depuis la fin du XVIIIe siècle rien n’a changé de la recette d’origine. Et aujourd’hui, un bon artisan Nicolas Genot, qui a repris la boutique portant le nom des soeurs Macarons, les produit toujours avec un soin rigoureux. Tout cela je l’aurai goûté, vu, appris, étudié sur place et de près, pratiqué chez moi en retour. Je me suis dit que ces premiers macarons avaient beau avoir une histoire différente, qu’ils finissent toujours pas se ressembler. Comment dire… J’avoue que je trouve ça à la fois bon, savoureux, craquant, gourmand, certes, mais ennuyeux. Exquis et délicieux, certes, mais franchement répétitif… J’ai envie de faire autre chose, de différent, mais tout de même d’approchant. Un autre macaron, le mien ? Je ne le sais pas encore… À suivre…

Comment réussir votre prochain événement ?